Notre époque n’a pas l’exclusivité des débats sur la nourriture. Au XVIIe siècle déjà, le moraliste, le prêtre et le médecin s’acharnent contre la bonne chère. La politesse et la piété requièrent de l’homme la maîtrise de son corps, de ses instincts, de ses appétits. La diététique fait peser sur le repas un soupçon de tous les instants : les viandes succulentes et les sauces sont accusées de perturber l’équilibre du corps, d’embarrasser la digestion et de rendre l’esprit confus. Combattu en public, le mangeur trouve dans le privé son refuge ; exclu de la hiérarchie littéraire, absent des genres nobles, comme l’ode ou la tragédie, il habite les genres ignobles : la farce, le conte, le roman comique, la poésie burlesque.
Pourtant, malgré tous ces obstacles, entre la Fronde et la Révolution, quelque chose se constitue qui rendra possible l’apparition de l’écriture gastronomique. Pour que viennent Grimod de la Reynière et Brillat-Savarin, il fallait d’abord que se définisse une légitimité culturelle de la bonne chère. Il fallait que ses détracteurs s’apaisent ; que le plaisir du goût obtienne, par son voisinage avec la musique, l’architecture et la science, une caution bourgeoise ; que la cuisine enfin acquière son autonomie, qu’elle s’extraie de l’agriculture et de la pharmacopée, parmi lesquelles elle demeurait comme engoncée. L’École de la gourmandise a pour objet cette émancipation. En parlant du passé, il s’agit encore de nous, de nos angoisses, de nos plaisirs.
Auteur :
Frédéric Charbonneau, spécialiste de l’Histoire des formes et des idées aux XVIIe et XVIIIe siècles, est professeur à l’Université McGill (Canada), où il occupe la chaire William Dawson en Littérature du XVIIIe siècle.
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